lundi 28 avril 2014

Handicap orthographique

      Combien de recruteurs (ou de personnes ayant un poste analogue) n’ont-ils pas déclaré : « et en plus son CV est bourré de fautes d’orthographe ! » pour en arriver à justifier in fine les raisons qui les ont amenés à repousser tel ou tel candidat ? La chose fonctionne un peu comme une tache que l’on a fait sur sa belle chemise blanche : il y a ceux qui se présentent à leur futur employeur sans tache, et ceux qui arrivent le plastron décoré : bien sûr, certains recruteurs ou décideurs ne font pas attention à ce genre de détails, mais l’on sait aussi qu’en société être propre produit en général un meilleur effet qu’être sale… L’orthographe est ici utilisée de manière à justifier, à corroborer un arbitrage professionnel.

      L’idée d’une orthographe discriminante pourrait également être abordée sous l’angle du prétexte : finir la lecture d’un courriel professionnel ou d'un rapport par un « et en plus c’est bourré de fautes d’orthographe… » est généralement le point d’orgue d’une série de critiques sur l’auteur de l’email ou sur le rapport... La faute d’orthographe a ici la fonction de « cerise (amère) sur le gâteau » : elle vient étayer un jugement antérieur, comme une justification suprême qui va permettre de critiquer l'auteur du document...

      On peut d’ailleurs observer le fonctionnement inverse : le rapport est plein de bonnes choses, il plaît au lecteur, et en plus « c’est bien écrit, il n’y a pas presque pas de fautes dedans ! ». L’orthographe sert ici à rassurer celui qui doit juger, qui est amené à évaluer. L’orthographe est bien un outil d’évaluation intégré au monde du travail comme à celui de la formation.

      Notez, pour achever un tableau peut-être un peu noir de la situation, que la société actuelle a tendance sur ce sujet à multiplier les jugements de valeur parfaitement gratuits mais sans appel, du type : « Ah, ces jeunes, ils ne savent plus écrire !... Moi de mon temps on ne faisait pas autant de fautes d’orthographe, quand même !... ». Même s’il serait facile de rétorquer qu’il y a 40 ou 50 ans on ne disposait pas d’indicateurs solides et fiables pour mesurer le niveau orthographique de la population française, même si l’on cherchait à dire que ce jugement orthographique cache peut-être en réalité un jugement globalement négatif sur les « jeunes », le constat est quand même là, dans toute sa violence : faire des fautes d’orthographe est, d’un point de vue sociétal, considéré comme un handicap lourd.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire